Le glas de l’église de Saint-Cyr-les-Colons égrène sa note lugubre, lentement. Il fait très beau ce matin. Autour du village, les champs se dorent de leurs blés mûrissants. Évelyne s’en est allée, et un dernier adieu lui est rendu par de nombreuses personnes : enfants, petits-enfants, parents, amis…
Catherine (*) et moi nous nous disons que ces derniers mois ont été très douloureux pour elle, et qu’avec la défaillance de son cœur, c’est aussi la douleur qui s’en est allée. La petite église était pleine pour lui rendre hommage. Son sourire, sur la photo posée sur le cercueil, nous la rappelait en meilleure forme. Une page se tourne. La terrible douleur, pour elle, n’est plus. Seul survivra le souvenir aimant de ses proches, qui l’ont si bien entourée.
La vie continue son cours ; en témoigne le manège d’auto-tamponneuses sur la place de l’église.
Il y a quelques mois, Jeannine s’éteignait, vaincue par un cancer qui la rongeait depuis plusieurs années. Elle est morte, elle, dans la solitude d’une clinique. Sans famille, elle a été accompagnée au cimetière par son curateur, par Catherine – représentant notre association – et par le maire du village où ses parents sont enterrés.
Nous, bénévoles de Vivre l’Yonne, avons visité Évelyne et Jeannine durant trois ans, dans l’appartement partagé que notre association leur avait mis à disposition, à Chablis. Nous avons essayé de faire en sorte que leur quotidien soit le meilleur possible.
Nous voulions être les plus « professionnels » possible. Pourtant, des liens se sont tissés avec elles, et au moment d’écrire ces lignes pour leur rendre hommage, c’est de la tristesse que nous éprouvons. En y réfléchissant bien, cette expérience humaine, réussie à bien des égards – avec ses points positifs et d’autres moins –, de création d’un espace partagé pour des personnes isolées, est-elle à la portée de bénévoles pour qui la prise de recul n’est pas toujours facile ?
Évelyne et Jeannine, bien différentes à de nombreux égards, n’avaient, sans cette cohabitation proposée, aucune chance de se rencontrer. Femmes de caractère, malgré des moments parfois ombrageux, elles comptaient l’une sur l’autre, s’inquiétaient mutuellement, s’aidaient.
Quand Jeannine, toute heureuse, confiait son bonheur d’être dans « notre » appartement – « Si j’étais restée à l’Ehpad, je serais morte depuis longtemps » –, on entendait Évelyne parler de « son » appartement, que « tout le monde trouve très bien ».
Alors peut-être ne savions-nous pas toujours prendre le recul nécessaire dans notre relation avec elles… Il n’empêche que nous prenions plaisir à les côtoyer et nous croyons qu’elles nous le rendaient bien. Nous pensons leur avoir permis de vivre quelques années de bonheur.
Et de cela, nous sommes fiers. Et heureux.
(*) Catherine est Vice Présidente de Vivre l’Yonne.